Montréal, le
Avec la flambée des prix dans le secteur immobilier, l’accès à la propriété semble de plus en plus hors d’atteinte pour de nombreux Québécois.
Dans certains cas, le fait d’être locataire s’est aussi complexifié en raison de l’augmentation de l’inabordabilité des loyers. Face à la crise du logement qui perdure, des acteurs du milieu de l’économie sociale s’activent pour proposer des modèles d’habitation collectifs et non lucratifs en misant sur la solidarité plutôt que sur la spéculation.
À l’heure actuelle, le logement à but non lucratif constituerait de 8 à 10 % du parc immobilier québécois, pour 1,6 million de logements locatifs, relève l’Alliance des corporations d’habitations abordables du territoire du Québec (ACHAT). C’est deux fois moins que la cible de 20 % du marché déterminée au terme du troisième Sommet de l’économie sociale, tenu en mai dernier.
L’organisme, qui s’est basé sur les projections démographiques de la province, estime qu’il sera nécessaire d’ajouter 231 000 de ces appartements d’ici 2030 et 323 000 autres avant 2050. Pour l’ACHAT, mettre un terme à la crise implique un « changement de paradigme » dans le marché locatif.
« Il faut arrêter de penser que le logement à but non lucratif, c’est uniquement une affaire de pauvres, lance Marie Depelteau-Paquette, directrice générale de l’organisme. Ça vise tout le monde : jeunes, aînés, étudiants, professionnels, familles… Ça doit être vu comme une façon de faire de l’habitation au même titre qu’une autre, et pas seulement pour des logements sociaux. C’est en développant différents modèles qu’on pourra répondre aux besoins du plus grand nombre. »
« Il faut aussi repenser le logement, le percevoir comme une infrastructure sociale », renchérit Martin Simoneau, directeur des affaires publiques et gouvernementales de l’organisme.
L’ACHAT a identifié quatre piliers qui permettraient d’atteindre la cible de 20 %, à commencer par la consolidation et la fusion de la propriété du parc locatif à but non lucratif.
Ensuite, il s’agit de professionnaliser les organisations qui gèrent les logements et d’assurer leur croissance.
Actuellement, bon nombre d’organisations sont considérées comme étant trop petites ou trop jeunes pour avoir la capacité de développer un parc d’immeubles, relève l’ACHAT. « Lorsque les institutions financières regardent le risque, elles préfèrent fournir des fonds à des coopératives qui ont déjà fait leurs preuves, affirme de son côté Sandra Turgeon, directrice générale de la Confédération québécoise des coopératives d’habitation (CQCH). Et dans le cas d’un petit projet, comme celui d’un groupe d’une vingtaine de personnes qui veulent fonder une coopérative, c’est rejeté par le gouvernement. »
« On constate également que les initiatives plus modestes ne disposent pas des ressources pour établir des réserves suffisantes pour faire face à l’augmentation du coût de la vie », ajoute-t-elle.
« En les professionnalisant ou en les fusionnant avec d’autres coopératives, elles se donnent les moyens de créer plus de logements, et ça fait boule de neige », complète Mme Depelteau-Paquette.
Protéger les acquis, croître et s’allier
Un autre pilier identifié par L’ACHAT pour augmenter l’offre en matière d’habitation consiste en l’acquisition de logements déjà construits pour les sortir de la spéculation, et le développement de nouveaux logements.
« Oui, il faut davantage de logements abordables, mais on ne doit pas non plus perdre ceux qu’on a déjà », rappelle Mme Turgeon. Elle souligne que, lors du récent congrès de la CQCH, les membres ont adopté une motion à l’unanimité pour s’engager à préserver les logements existants tout en œuvrant pour l’expansion du mouvement.
Enfin, pour l’ACHAT, le succès à long terme de l’opération reposera sur des partenariats d’impact. Car loin des acteurs de l’économie sociale l’idée de vouloir chasser le secteur privé de l’équation, bien au contraire. « On ne dit pas que l’économie sociale doit le remplacer, nuance Mme Depelteau-Paquette. Il y a des familles dont les besoins sont remplis par ces entreprises, mais il faut faire de la place pour du logement à but non lucratif. »
« Il existe des promoteurs qui ont de l’intérêt dans le logement à but non lucratif. Nos membres souhaitent construire au même titre que ces derniers, à la différence qu’ils veulent réinvestir leurs profits dans la création de nouvelles unités. » - Marie Depelteau-Paquette
L’ACHAT plaide pour l’agilité et la souplesse dans la planification des projets d’habitation. Actuellement, il peut être difficile pour des organisations œuvrant dans la mise en place de logements à but non lucratif d’obtenir du financement, notamment gouvernemental, et ce, en raison de la rigidité des programmes subventionnaires.
« Ce qu’on entend souvent, c’est que les acteurs en logements à but non lucratif désirent développer différemment, parfois sans passer par les programmes habituels, indique Mme Depelteau-Paquette. Ils cherchent d’autres façons de se financer, mais, surtout, ils veulent avoir une marge de manœuvre pour innover. Mais les programmes actuels ne le permettent pas toujours. »
« Le gouvernement pourrait nous donner davantage les coudées franches », plaide de son côté Mme Turgeon. « Pour nous, il s’agit de travailler sur l’architecture d’un modèle québécois inédit dans l’habitation à but non lucratif », poursuit M. Simoneau.
Il souhaite d’ailleurs que la gestion des actifs puisse se faire par « portefeuille » plutôt que par projet. « Si l’on permettait aux organismes d’aller chercher des capitaux non pas pour un seul projet, mais en fonction de ce dont ils disposent déjà, ça changerait la donne, dit-il. C’est une belle occasion pour que l’économie sociale prenne la place qui lui revient sur le marché. »
Pour lire la lettre ouverte dans Le Devoir