Montréal, le
En 2025, se loger au Québec lorsqu’on n’est pas héritier ou propriétaire de longue date est devenu un exercice de contorsion.
Il faut choisir entre s’endetter sur des décennies, dans des proportions démesurées des revenus, vivre à plusieurs dans un espace trop petit ou quitter son quartier, sa ville, sa région. Pour certains, c’est un choix impossible. Pour d’autres, il n’y a plus de choix. Chaque jour qui passe sans action structurante creuse ces fractures et met en péril l’héritage que nous laissons.
Cette situation n’est pas un hasard; notre système d’habitation du «tout au privé», qui place le logement social comme une « mesure palliative marginale », est arrivé en fin de bail.
Résultat : un marché immobilier déstructuré, des loyers qui explosent, un accès à un logement désormais réservé à ceux qui ont accès au crédit. Pendant ce temps, l’accès à la propriété, longtemps présenté comme la voie naturelle vers la sécurité financière, se referme. Sans être infinis, les investissements publics s’accumulent sans corriger les déséquilibres de fond.
Nous sortons d’un Sommet de l’économie sociale dont la vision commune pour 2050 vise une augmentation minimale à 20% des parts de marché du logement à but non lucratif, contre-pouvoir essentiel d’un système d’habitation plus juste, durable, accessible, résilient, démocratique et ancré dans les régions. Une cible qui n’est pas une fin en soi, comme le rappelait l’Aile jeunesse du Chantier de l’économie sociale, mais une transformation de la logique économique qui présente l’immobilier uniquement comme un investissement, une réponse aux besoins essentiels des communautés par l’entrepreneuriat collectif.
Pour rembourser la dette générationnelle, il faut investir autrement.
Au fil des crises successives du logement, le poids de la dette en habitation s’est accumulé pour les prochaines générations. Aujourd’hui, la majorité des investissements publics, directs ou indirects, soutient des projets résidentiels privés dont la valeur grimpe… sans que cette création de richesse profite aux collectivités.
Chaque dollar public investi, chaque levier, fiscal ou réglementaire, devrait pourtant pouvoir servir plus d’une fois. C’est possible grâce aux modèles d’habitation à but non lucratif : OBNL, coopératives, offices municipaux, fiducies foncières; autant de structures dont les profits sont juridiquement liés à leur mission sociale.
La valeur créée reste dans un circuit fermé : elle doit être réinjectée en continu dans la création, l’acquisition ou l’entretien de logements détenus par des propriétaires à but non lucratif, logements plus accessibles financièrement pour les classes moyennes et moins fortunées.
Protéger une part critique de l’offre résidentielle du marché privé Atteindre 20 % de logements à but non lucratif dans le marché locatif d’ici 2050 représente, selon les estimations de l’ACHAT, un ajout de 323 000 unités d’habitations en tous genres, soit une moyenne de 12 920 logements par année, un rythme de développement qu’il faudrait maintenir sans fléchir. En tenant compte des coûts moyens actuels d’acquisition de logements existants et de constructions neuves, on calcule des investissements totaux requis minimaux d’environ 153,29 G$, soit une moyenne de 6,13 G$ par année.
L’habitation à but non lucratif est une infrastructure sociale, comme la santé ou l’éducation.
Les jeunes d’aujourd’hui ne demandent pas de charité. Mais il faut reconnaître que le statu quo fabrique de l’insécurité. Il creuse les inégalités, épuise les communautés et trahit le contrat intergénérationnel en habitation. Nous ne rembourserons pas cette dette en additionnant des demie-mesures correctives. La meilleure manière de gagner, c’est de changer les règles du jeu. Miser sur des modèles qui transforment la création de valeur en leviers exponentiels de multiplication de nouveaux logements abordables, génération après génération. Les crises du logement ne sont pas inéluctables; s’y attaquer avec vigueur est une action de structuration économique déterminante. Soutenir la montée en échelle de l’économie sociale : voilà le début d’une vraie stratégie de remboursement s’appuyant sur un nouveau modèle québécois d’habitation.